En mai 2024, le Conseil Economique Social et Environnemental publiait un avis voté à l’unanimité. Fruit d’un travail de terrain, il alertait sur les menaces sur le financement des associations et rappelait leur rôle de production d’intérêt général. Un deuxième temps a été organisé à la suite de cet avis, afin de réfléchir à comment concrétiser les mesures proposées dans le rapport.
Un bref rappel d’abord : l’avis de mai 2024 du CESE, s’alarmait en partant d’un constat : la transformation des subventions publiques par la commande publique redéfinit le rôle des associations pour co-construire cet intérêt général.
Comment faire alors pour renforcer le financement des associations ? Les rapporteurs de cet avis, Martin Bobel et Dominique Joseph, déclinent des propositions, qui peuvent être résumées en trois grands axes : accroître le soutien financier des pouvoirs publics aux associations et prioriser la subvention en préservant celles-ci des règles de la concurrence, favoriser de nouvelles formes de financement et de soutien, rétablir la confiance et réformer la gouvernance. Mercredi 11 décembre 2024 est venu le moment d’explorer les solutions.
Les associations face à la marchandisation
En ouverture de session, Thierry Baudet, président du CESE, constate la situation préoccupante des associations en France et déplore le fait que l’on ne fasse que « peu de cas de leur rôle dans l’attachement à la démocratie ». Il rappelle que pour les Français, les associations et l’engagement dans une association incarnent l’expérience de la démocratie en actes. Le cadre associatif est le principal cadre d’une démocratie vivante sur des sujets qui les concernent et concernent les citoyens, avec une démocratie qui s’organise pour elle-même et par elle-même. Il faut redonner aux associations les moyens de leur indépendance et de leur pérennité.
Par quoi est-elle menacée ? Le témoignage de différents représentant d’associations partout en France dessine les difficultés rencontrées. Marion Fourtune, directrice de France nature environnement Limousin, témoigne d’une dégradation constante des conditions d’agir des associations. Trois problèmes majeurs sont soulignés : la multiplication du financement par appel à projets, les logiques chiffrées induites par l’appel aux financements privés et la marchandisation de l’action associative.
L’un des problèmes majeurs des associations aujourd’hui est la mise en concurrence de celles-ci par la pratique du recours à l’appel à projet, qui banalise leur apport démocratique et sociétal.
Les structures associatives sont de plus prises dans des logiques chiffrées qui transforment leurs modalités d’interventions. Ces évolutions se font dans le travail des salariés et bénévoles, avec une obligation de rentabilité qui transforme aussi l’organisation en ressources humaines des associations, avec plus de temps passé à faire du reporting, ou répondre à des appels à projets, et moins à agir directement. Autre changement induit par la logique chiffrée : la transformation même des publics accueillis. L’un des exemples pris est celui des structures d’insertion, qui transforment leur logique d’intervention si leurs subventions sont déterminées par le taux de remise à l’emploi. Ces logiques chiffrées et d’évaluation impactent les modalités d’action avec un risque d’exclusion plus forte des plus vulnérables,
Cette mise en concurrence, et cette primauté de l’objectif chiffré s’intègrent dans une logique de marchandisation du secteur associatif. Celle-ci atteint les conditions d’exercice des activités associatives, au détriment des activités non rentables comme le plaidoyer. Les associations perdent alors leur rôle d’expression de revendications, et sont enjointes à ne pas « mordre la main qui les nourrit », explique Marion Ogier, avocate.
Face à cela, il convient de revenir aux raisons du financement par subvention : que permettent-elles ? Le fait de pouvoir produire du bien commun de manière spontanée et libre : par exemple la réalisation d’un chantier de jeunes bénévoles pour restaurer du patrimoine, et ce sans qu’aucune commande publique ne soit faite. A cela s’ajoute un cri d’alerte des associations interrogées face aux baisses constantes des subventions et des financements non renouvelés : « réduire les financements, ça revient à mettre en danger la vie des personnes accompagnées ».
Un risque de concurrence de la part d’acteurs non associatifs
Autre interrogation soulevée : les ambiguïtés autour de la création d’un statut d’association transfrontalière européenne. Pensé comme un outil pour défendre la liberté d’association dans l’Union, où certains pays la bride, il vise aussi à consacrer au niveau européen la définition du but non lucratif. Cependant, ce statut intègre également dans son giron toutes les entités qui poursuivent un but non lucratif. Or, cela pose des questions sur le risque de mise en concurrence au regard des règles européennes du traité de Rome. En effet, les articles 106 et 107 du traité de Rome exigent le respect des règles de concurrence et limitent les possibilités d’aides fournies par le Etats, interrogeant la capacité à attribuer des subventions. Par ailleurs, la philosophie de la mise en concurrence fait des dégâts et comporte des dérives quand elle s’applique à des secteurs touchant à l’intérêt général.
La mise en concurrence avec des structures à but lucratif entraîne des dérives à l’avantage des structures commerciales et au détriment des usager.e.s et de l’intérêt commun : exemple les scandales des EHPAD, ou la fin des auberges de jeunesse associatives qui faisaient de l’éducation populaire. Le modèle associatif ne joue pas avec les mêmes armes que le secteur classique (avec des tarifs conventionnés par exemple, contrairement à ceux du privé), alors qu’il est en premier front sur certains territoires
Par ailleurs, un constat d’asphyxie sur ce point est souligné par Hugues Vidor de l’UDES : quand on parle des associations qui sont dans le champ des politiques sociales, qui va être capable d’hybrider des ressources dans un secteur où on s’occupe de publics vulnérables, dans un contexte d’épuisement des politiques sociales ?
La reconnaissance des associations ne doit pas être réduite à des fonctions purement commerciales. Benoît Hamon, présent à l’une des tables rondes, souligne cependant un paradoxe : le poids économique du secteur associatif est autour de 113 milliards d’euro, celui des start up à 25 milliards d’euros, pourtant les premières ne sont pas une priorité. Le constat final, fait par Claire Thoury, est le suivant : quand les financements des associations sont mis à mal, cela concerne tout le monde.
Il faut revendiquer l’autonomie, le pouvoir d’agir et préserver le modèle non lucratif. Dans un monde « qui ne tiendrait pas sans les associations, du club de foot local aux associations humanitaires, qui leur doit tant d’avancées en terme de droits, de recherches, de création, on ne peut pas s’alarmer de la question des financements sans se mobiliser très fortement. « Il est l’heure de la méthode, des alliances, des stratégies » pour agir ensemble conclut Martin Bobel, rapporteur de l’avis.
Pour découvrir toutes les propositions, et avoir accès aux échanges dans leur intégralité, c’est ici : https://www.lecese.fr/actualites/comment-perenniser-le-financement-des-associations