CHANTIER école : Quels sont, pour le Synesi, les principaux enjeux et spécificités des ACI à prendre en compte dans le cadre du dialogue social au sein de la branche ?
Vincent MOLINA : La Convention Collective Nationale des ACI était avant-gardiste avec l’ISCT (Instance de Santé et Conditions de Travail), dont la mise en place s’imposait pour les structures dans lesquelles l’obligation de constituer un CHSCT n’était pas remplie, avec des effectifs inférieurs à 50. Cet espace de dialogue dédié à l’ensemble des salariés, se caractérise notamment par la condition de compter parmi les élus représentants de salariés, 50% au minimum de représentants de salariés en parcours, ce qui est facilité par l’absence de condition d’ancienneté pour la participation des salariés.
Cette obligation d’intégrer les salariés en parcours, peut représenter pour des syndicats de salariés une forme de critère d’entrée imposé, fondé sur le statut des salariés, et ainsi être associé à de la discrimination. Nous craignions que cette logique induise le risque de ne pas favoriser l’intégration des salariés en parcours autour de la table, conscients que seule une obligation sous une forme ou une autre, peut garantir leur représentation suffisante. De ce fait, nous réfléchissons à faire basculer l’ISCT du champ du dialogue social vers celui de la prévention.
Un autre enjeu porte sur le métier d’employeur spécifique d’insertion en ACI, dont nous affirmons les spécificités, avec des fonctions qui ne pourraient être, par exemple, confondues avec celle d’un employeur en MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) qui accueille des contrats aidés. Actuellement, nous devons continuer à défendre la reconnaissance du métier tel que nous le concevons, et reconnu dans le champ d’application de la convention collective des ACI. Or nous avons également le souci de ne pas risquer de limiter ce métier à l’ACI qui reste un dispositif, dont nous ne sommes pas assurés de la pérennité du moins, sous la forme que nous connaissons aujourd’hui. C’est pourquoi nous réengageons une réflexion sur les contours de notre métier : comment l’ensemble de la profession le perçoit et veut le percevoir aujourd’hui et à travers les possibles évolutions que peuvent nous révéler les pratiques des uns et des autres, et quelles conséquences pour notre syndicat ?
CHANTIER école : Depuis 2014, les salariés polyvalents ont progressivement intégré les effectifs pour le calcul des seuils de constitution d’Instances représentatives du Personnel (IRP). Quels changements ont été engendrés par cet élargissement du dialogue social à l’ensemble des salarié.e.s des structures ?
Vincent MOLINA : Nous n’avons à ce jour pas suffisamment de recul pour mesurer les changements conséquents à l’intégration des salariés en parcours dans les effectifs. Néanmoins nous avions, expérimenté, avant la réforme, la prise en compte des salariés en parcours, comme salariés à part entière disposant des mêmes droits et devoirs que le reste des salariés, à travers l’ISCT qui garantissait leur représentation dans le cadre du dialogue social. Dans l’objectif de les insérer dans l’emploi durable, il nous paraît nécessaire de préfigurer les conditions réelles d’emploi « ordinaire » que vivrons les salariés, en intégrant aussi bien la dimension de droits que celle de devoirs, l’une n’allant pas sans l’autre. Mon expérience de directeur de structure me fait en effet constater qu’il est difficile d’amener à la prise de conscience à partir d’une situation où le salarié est un salarié à part, avec un statut spécifique. C’est aussi un élément important pour rejoindre la démarche de l’Entreprise Sociale Apprenante, qui appuie son accompagnement sur la formation en situation de travail réel.
De mon point de vue, avec la réforme, il y a eu un véritable changement dans la posture des salariés, du fait qu’ils ne sont plus sous contrat CUI-CAE. Seulement, ces évolutions n’ont pas été spontanées pour tous, notamment, des encadrants techniques pouvaient voir leurs relations avec les salariés en parcours changer et heurter leur perception des salariés, parfois considérés comme des stagiaires, envers lesquels une posture de tuteur-formateur pouvait prévaloir. Cela demande donc un accompagnement des professionnels, et l’employeur a aussi pour rôle d’être pédagogue sur ce sujet, de même qu’il a la responsabilité que les salariés saisissent mieux le dialogue social. Celui-ci demeure un enjeu, au sens où il s’impose désormais à une majorité de structures qui ne le pratiquaient pas ou que très peu. Il y a là un changement de culture dont il faut avoir conscience, et le facteur de la volonté des directions est déterminant à l’instauration et à la menée à bien du dialogue social.
CHANTIER école : Suite aux dernières ordonnances des ministres du Travail EL KOMRI et PENICAUD, quels seront les impacts importants à venir, en matière de négociation collective, pour les employeurs de la branche ?
Vincent MOLINA : L’ouverture de la possibilité de négociation à l’échelle de l’entreprise est un point positif à mon sens, parce que compte tenu de la diversité des cadres d’activités des structures, il y a des spécificités qui ne trouvent pas toujours leur compte dans le code du travail ou même dans celui de la Convention collective.
Par ailleurs, les branches sont renforcées, avec la délimitation de domaines de négociation qui leur sont réservés, ce qui est la garantie de sécuriser les accords de branche. De plus, elles ont la possibilité de déterminer ce qui relève de la négociation à leur niveau ou à celui des entreprises, dans les quatre domaines suivants : la prévention aux facteurs de risques ; l’insertion des Travailleurs handicapés ; le droit syndical conventionnel et la valorisation du parcours syndical ; certaines primes liées aux conditions de travail des salariés. En l’occurrence, la branche des ACI a pour le moment, décidé de se réserver, la prévention des risques, ce qui permet de développer l’ISCT, comme je l’évoquais plus haut.
Nous sommes par ailleurs attentifs aux effets des mesures de « sécurisation des relations de travail », pour assurer plus de conformité des démarches et procédures mises en place par les employeurs. Mais sur des domaines aussi pointus, seule l’expérience nous permettra d’en juger les effets.
En revanche, nous découvrons avec circonspection les incidences des nouveaux modes de calculs de représentativité des organisations syndicales retenus par le Ministère, occasionnant la perte des organisations historiques au sein de la branche avec les résultats des dernières élections professionnelles.
En ce qui concerne l’actualité du secteur de l’IAE, nous suivons l’évolution du CNIAE vers le CNIDE, qui nous semble pour le moment, démontrer une tendance à faire prévaloir le rôle de techniciens au détriment la négociation politique, pourtant essentielle pour l’intérêt des parties. Nous risquons notamment, au sein de cette nouvelle instance fondée sur une très large conception de l’inclusion, de perdre le bénéfice de nos efforts pour la reconnaissance des spécificités de notre profession, qui est le fruit de plusieurs années de capitalisation de nos pratiques.